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Travailler ses faiblesses, une perte de temps? – Quand l’injonction à miser sur nos forces va trop loin [podcast # 7]

1 Sep 24 | Articles, Podcast

Tu peux écouter la version audio de cet article sur Spotify, Youtube ou une autre platefrome d’écoute de ton choix.

En mai dernier, j’ai entamé un stage d’apnée d’un mois à Bali. Forte de mes expériences sportives, de ma familiarité avec l’inconfort et de l’apparente simplicité de cette pratique, j’imaginais progresser relativement rapidement. Mais mes illusions se sont très vite dissipées.

Dès le premier entraînement en mer et tout au long de mon stage, il m’a été presque impossible d’équilibrer mes oreilles (insuffler de l’air dans les trompes d’Eustache pour compenser la pression de l’eau qui menace de percer nos tympans à mesure qu’on s’enfonce sous l’eau).

Pour une fois, je me retrouve dans les chaussons d’une novice à la traîne, dénuée de prédisposition naturelle, qui en reste bloquée à la répétition inlassable des bases, alors que tous les autres semblent progresser avec une rapidité et une aisance déconcertantes.

Il y a dix ans, face à de telles difficultés aux prémices d’une activité, face à un tel manque d’habiletés naturelles, face à un tel décalage entre mes attentes et la réalité, j’aurais abandonné sous prétexte que «ce sport n’est pas fait pour moi». J’aurais pivoté pour me réorienter sur mes forces et cherché une autre activité pour laquelle j’aurais démontré davantage d’aisance et pu réaliser des progrès rapides et tangibles.

Mais aujourd’hui, pour une fois, au lieu de me recentrer sur mes forces, je décide de m’attaquer de front à mes lacunes.

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C’est pourtant une approche qui va à contre-courant de ce que recommandent les études les plus récentes, les gourous de la productivité, les entrepreneurs obnubilés par l’efficience et les experts épris d’excellence.

Notre temps étant limité, plutôt que de nous attarder sur nos points faibles et défauts, la stratégie des points forts nous suggère d’identifier nos talents et qualités naturels et de les cultiver à l’extrême afin de maximiser notre efficacité et nos chances de succès. Pour atteindre l’excellence et échapper à la masse de la médiocrité, il nous faudrait renoncer à un développement général plus complet, accepter, contourner ou «déléguer» nos lacunes et faiblesses et faire preuve d’une dévotion absolue envers nos dons et talents.

Si c’est certes une perspective intéressante qui peut inciter les plus zélés et perfectionnistes d’entre nous à déléguer des tâches qui nous empêchent d’exploiter nos talents et compétences uniques, à accepter qu’on ne peut pas être doué en tout, à nous concentrer sur les activités et domaines qui nous permettront de maximiser nos résultats pour atteindre nos objectifs, c’est une approche à nuancer dans l’absolu.

Entre le noir et le blanc, il existe une infinité de nuances. Et mon expérience de l’apnée m’a permis de réexaminer ces nuances.

Reculer systématiquement devant nos faiblesses n’est pas nécessairement la voie la plus judicieuse ou la plus efficace à long terme, et ce pour quatre raisons principales.

1. Certaines faiblesses compromettent notre évolution dans tous les domaines de notre vie

Face à une faiblesse que l’on se découvre, il nous faut faire un choix conscient: soit y remédier, soit l’accepter et la contourner, l’éviter ou la transformer en force.

Parfois, accepter nos failles telles quelles, sans chercher à les corriger, est une solution raisonnable. Après tout, dans notre quête d’excellence, il nous faut savoir concentrer notre énergie et notre attention sur les aspects, compétences et aptitudes qui produiront les meilleurs résultats en un minimum de temps et nous permettront de nous démarquer de la masse.

Mais ce n’est pas toujours le cas. Avant de reculer devant une faiblesse, il nous faut évaluer ses répercussions.

Certaines lacunes n’ont qu’une incidence très limitée sur notre vie: leurs conséquences ne sont que de faible ampleur, elles ne se manifestent que marginalement dans notre quotidien, ou elles ne demandent que peu d’effort pour être contournées.

C’est en particulier le cas si nos failles concernent des compétences qui peuvent être facilement déléguées ou des capacités ou qualités qui n’ont d’incidence que sur un seul aspect de notre vie ou qui ne sont pas primordiales pour l’atteinte de nos objectifs ou le comblement de nos besoins.

Mes difficultés d’équilibrage sont un exemple de lacune mineure. À part pour faire de la plongée, la capacité à équilibrer mes oreilles ne m’est pas indispensable, ni même utile. J’ai toujours accès à une pléthore d’autres activités sportives et de loisirs, et cette inaptitude ne me freine dans aucune autre sphère de ma vie.

Par contre, échapper à nos failles devient plus délicat lorsque celles-ci empiètent sur d’autres aspects de notre vie. Si on ne les corrige ou ne les atténue pas, elles risquent de constamment nous handicaper dans l’accomplissement de nos objectifs et entreprises, de nuire à nos relations et de compromettre notre bien-être et notre épanouissement tout au long de notre existence.

Et en l’occurrence, mes problèmes d’équilibrage et ma pratique de l’apnée dans son ensemble ont mis en lumière des faiblesses plus profondes et insidieuses – un manque de contrôle physique et mental -, dont les conséquences ne peuvent être circonscrites à cette activité.

Mes tensions musculaires et mon incapacité à me détendre physiquement seront toujours un frein pour mon évolution physique. Si je n’acquièrs pas une conscience plus fine de mon corps et une capacité à relâcher mes tensions, je ne parviendrai jamais à déployer toute l’étendue de mes ressources physiques pour m’améliorer et atteindre les performances auxquelles j’aspire.

Ces tensions font aussi ressurgir les obstacles mentaux qui me bloquent: la frustration de ne pas réussir aussi rapidement et bien que les autres, mon impatience, mon manque de lâcher-prise, mon besoin d’être performante et mes difficultés à calmer le tourbillon de pensées qui fait presque continuellement rage dans mon esprit.

Et ce manque de contrôle mental m’empêchera toujours de trouver le calme dans la tourmente, d’orienter mon esprit sur les tâches, émotions et pensées les plus positives et les plus fructueuses pour mon épanouissement, d’accéder à un degré de concentration qui me permette d’exploiter tout mon potentiel, de trouver plaisir et satisfaction en m’immergeant dans le moment présent.

Certains de nos points faibles enveniment nos relations. Une personne qui s’énerve pour tout et rien et déverse sans cesse sa colère sur ses proches court le risque de s’aliéner ses proches si elle refuse de changer sous prétexte que c’est sa personnalité et qu’elle n’y peut rien. Ses crises de colère et son entêtement pourraient bien, à terme, lui coûter l’amitié, le soutien et le respect de ses amis. La solitude et la confiance perdues seront beaucoup plus difficiles à remédier que les efforts que lui auraient coûté une prise de conscience et une volonté de changer plus précoces.

Certaines faiblesses peuvent aussi nous empêcher d’atteindre les objectifs professionnels que l’on se fixe. Par exemple, si on est incapable de hiérarchiser nos tâches et activités, de différencier les travaux urgents des travaux importants et de nous concentrer sur les activités essentielles au développement de nos projets, on ne parviendra jamais à les concrétiser, ou alors seulement en gaspillant une énergie et un temps précieux.

Certaines compétences peuvent certes être déléguées, et savoir demander de l’aide est aussi une ressource que les meilleurs savent exploiter. Mais compter démesurément sur d’autres personnes pour combler ou compenser nos manques est une source de fragilité qui peut faire basculer nos projets le jour ou ces personnes disparaissent. L’autonomie que nous offre un éventail varié et complet de compétences nous permet de nous adapter peu importe les circonstances et de rapidement retomber sur nos pieds lorsque les choses n’évoluent pas comme prévu.

 

2. Nous évertuer à corriger nos faiblesses nous enseigne la persévérance et la résilience

Parfois, accepter nos faiblesses, nos lacunes et nos défauts sans chercher à y remédier est une décision stratégique qui nous permet d’optimiser notre temps pour obtenir les meilleurs résultats possibles.

Mais lorsque ce comportement – éviter ses faiblesses – devient systématique, il est souvent un signe de fuite. Un recul devant la difficulté et l’inconfort. Car combler nos failles exige davantage d’efforts, de patience, de persévérance que consolider nos forces.

Lorsqu’on se contente de miser sur nos talents et de contourner nos manques, on prend l’habitude de céder à l’attrait de la facilité et de se laisser porter par le vent des progrès rapides.

Lorsqu’on suit toujours la voie de l’aisance dans nos apprentissages et activités, qu’on ne fait que franchir des creux plutôt que s’attaquer à des fossés, qu’on ne déploie des efforts que lorsqu’on a la certitude d’être gratifié d’une récompense et de résultats rapides, on ne se familiarise jamais avec la rugosité des chemins non débroussaillés et la friction des vents contraires. On n’apprend jamais à gérer la tourmente de frustration qui se lève et l’incertitude qui nous étreint lorsqu’on bute contre des obstacles inattendus ou que les progrès sont plus lents qu’espérés, voire imperceptibles.

Face à cet inconfort qu’on n’a jamais eu le courage d’affronter, qu’on n’a jamais pris la peine d’apprivoiser, on recourt à la solution de facilité, celle du repli devant ce que l’on croit prédéterminé: «Ce n’est simplement pas fait pour moi.» C’est du moins ce dont on cherche à se convaincre.

Cependant, la vie, parfois, bouleverse nos plans, nous déstabilise et nous jette de force dans des situations pénibles que l’on doit surmonter si l’on veut garder une forme de maîtrise sur le cours de notre existence. On ne peut pas toujours éviter de faire face à nos lacunes ou à nos manques. Il arrive que les circonstances nous obligent à faire appel à des capacités, à des aptitudes, à des qualités qu’on n’a jamais acquises ni développées.

Lorsqu’on entretient une habitude de fuite face à nos failles, on émousse progressivement notre tolérance à l’inconfort et à la difficulté et on perd tout le courage nécessaire pour affronter les obstacles, barrières et défis que l’on rencontre sur notre chemin, quels qu’ils soient. Si on ne fait que reculer devant nos faiblesses, on n’apprend jamais à les surmonter et à déployer nos ressources latentes pour repousser nos limites et évoluer.

Mais ce qui est une faiblesse un jour peut, par la persistance et la discipline, devenir une force demain et nous permettre d’étendre notre sphère d’action et le champs de nos possibles.

Plus on corrige de nos faiblesses, apprend à gérer de situations adverses, s’efforce de briser les barrières qui se dressent sur notre route, plus on devient versatile, souple, et capable de s’adapter et de rebondir lorsque les circonstances changent et tentent de nous faire chavirer.

Dans un monde fondamentalement imprévisible et en constante évolution – et ce à un rythme qui ne cesse de s’accélérer – la capacité d’adaptation, la flexibilité et la tolérance envers l’inconfort ne sont pas une option, mais une nécessité, voire un pouvoir inépuisable.

 

3. Parvenir à pallier nos faiblesses est une source de gratification puissante

Tenter de combler nos lacunes et de surmonter nos difficultés peut être très frustrant à court terme. Lorsqu’on doit déployer des efforts considérables pour ne faire que du surplace ou ne constater que d’infimes progrès et que le fossé entre les résultats espérés et nos capacités actuelles nous semble infranchissable, la frustration peut rapidement s’emparer de nous.

Pourtant, le paradoxe, c’est qu’en persévérant pour corriger nos faiblesses, on peut trouver à long terme un degré de satisfaction bien supérieur à celui que nous procure la promenade de santé d’une activité qui nous vient plus naturellement.

On entend souvent que la valeur que l’on accorde à une chose est proportionnelle aux efforts et au temps consacrés pour l’obtenir. C’est aussi le cas de la fierté et de la satisfaction, même si l’on doit davantage patienter pour en obtenir la récompense psychologique. Plus le chemin est tortueux, pénible, jonché de fourrés et de ronces, plus on saura apprécier notre arrivée à destination, plus on sera fier et satisfait de notre parcours et de notre persévérance et plus notre sensation d’accomplissement personnel sera vive.

On se souvient avant tout des défis les plus redoutables qu’on a relevé, des difficultés les plus inextricables qu’on a surmontées, des obstacles les plus imposants qu’on a franchis. Ce sont eux qui nous marquent et qui bâtissent réellement notre confiance en nos capacités, notre force de caractère et notre image de nous-mêmes.

Il n’y a rien de plus satisfaisant que de parvenir de l’autre côté d’un gouffre béant et se dire: «J’ai réussi, envers et contre tout, alors que je n’avais aucune prédisposition naturelle et que personne n’aurait misé sur moi. J’ai défié toutes les attentes et je n’ai pas abandonné alors que tout annonçait mon échec.»

 

4. Corriger nos faiblesses peut aussi nous procurer du plaisir

Dans une société qui nous enjoint à optimiser notre temps et fait l’apologie de la performance et de l’excellence, on a tendance à évaluer toutes nos activités, idées, projets au travers du prisme de la productivité.

Mais la productivité et l’efficience ne sont pas les seules considérations valables et ne devraient pas être les seuls critères sur lesquels fonder nos décisions quant aux activités ou projets auxquels nous consacrer.

Certaines activités valent la peine d’être poursuivies pour elles-mêmes, pour l’émerveillement, la joie, la satisfaction qu’elles nous procurent, même si les efforts que l’on doit déployer pour s’y adonner et progresser semblent totalement démesurés par rapport à l’utilité économique et productive que l’on peut en retirer.

Le plaisir et la curiosité purs sont non seulement une raison valable, mais sont aussi indispensables pour garder un esprit sain à long terme et nous enrichir mentalement et spirituellement. Poursuivre des loisirs, activités ou projets par motivation intrinsèque est ce qui nous permet de nous échapper de l’engrenage de la productivité, qui nous impose une vision de l’humain et de notre vie uniquement comme moyen de production. C’est ce qui nous ramène à la possibilité de nous débarrasser de la pression de la nécessité d’être utile et de servir, de jouir pleinement de notre expérience de vie présente, de simplement exister pour exister.

Derek Sivers, un entrepreneur, auteur, ancien musicien et présentateur de cirque, que j’admire pour son point de vue holistique sur la vie, le développement personnel et l’entrepreneuriat, souligne l’importance de faire des choses uniquement parce qu’on aime les faire. Selon lui, la focalisation sur l’efficience n’est pas nécessaire pour atteindre un degré de réussite satisfaisant et est délétère pour notre bien-être global. Pratiquant ce qu’il prêche, il entame souvent de nouveaux projets par jeu, parce qu’il se passionne pour le processus lui-même, mais ne les mène pas toujours à bien, parce que l’aboutissement du projet et le résultat ne l’intéressent pas. Pour présenter et vendre ses livres, il aurait pu utiliser un des innombrables sites ou plateformes de vente en ligne tout à fait adaptés déjà disponibles, mais il a préféré coder son propre site de vente, tout en sachant que cela ne lui apporterait aucune plus-value économique et lui prendrait beaucoup de temps. Mais ce projet l’amusait et en valait donc la peine.

Les résultats et l’utilité ne sont pas les seules métriques de validité d’une activité, d’une tâche ou d’un projet. De même, travailler sur nos faiblesses et essayer d’acquérir des compétences ou des capacités à l’opposé de nos talents naturels peut être une entreprise sensée si le chemin pour y parvenir nous procure du plaisir.

Le jeu, l’enthousiasme, l’émerveillement sont des usages tout à fait valides de notre temps, parce qu’ils sont des composantes intégrantes de la panoplie d’émotions qui accompagnent notre existence et contribuent à la richesse de notre expérience sur terre.

 

Adopter une stratégie multiple, qui s’adapte à nos besoins

Faut-il pour autant renoncer à miser sur nos forces? Bien sûr que non. Le conseil des entrepreneurs les plus productifs de notre temps et les données scientifiques actuelles nous offrent une approche utile et stratégiquement judicieuse dans de nombreux cas, en particulier si on a des tendances perfectionnistes.

Mais comme tous les extrêmes, la stratégie des forces devient contre-productive si elle n’est pas exploitée avec raison, si on ne prend pas le temps d’évaluer son utilité au cas par cas.

Être capable de percevoir nos faiblesses, d’évaluer leurs répercussions sur les différentes sphères de notre vie et de décider consciemment s’il vaut la peine de consacrer du temps et de l’énergie à les corriger est une force en soi.

Même s’il est rare de pouvoir élever une faiblesse au même niveau que nos talents et nos aptitudes les plus aiguisées, combler certaines de nos lacunes est un moyen de compléter notre arsenal de compétences et de qualités pour former notre identité et notre valeur uniques.

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Si tu veux continuer d’explorer ton potentiel physique et mental pour façonner ta vie selon tes propres termes et vivre une vie plus riche et épanouissante, retrouve-moi également sur YouTube, Spotify, Medium, Instagram, Threads et X.

N’oublie pas, c’est en explorant que tu étends le champ de tes possibles.